Le tweet et l’infini, par Chem Assayag

affaire dsk les journalistes hors de la salle d'audience sont rivés sur twitter

L’affaire DSK aura constitué une formidable publicité pour les réseaux sociaux et singulièrement Twitter ; il aurait sans doute fallu dépenser des dizaines de millions d’euros pour bénéficier d’une telle exposition médiatique. Ce qui est intéressant c’est que cette promotion des réseaux sociaux s’est faite à travers leur utilisation dans un contexte journalistique, et notamment l’usage et le partage instantané d’informations brutes. Les « live tweets » des auditions de DSK, repris en boucle par les chaînes d’information telles LCI ou BFM, constituant le paroxysme de cette visibilité des réseaux sociaux.

Cet usage spécifique des réseaux sociaux questionne évidemment leur rapport avec la notion d’information et la façon dont les journalistes peuvent les utiliser et en faire un outil majeur de leur profession.

Tout d’abord il convient de rappeler qu’informer (in TLFI : « Donner une forme, une structure signifiante à quelque chose ») c’est aussi littéralement donner une forme, c’est-à-dire donner un sens. En amont le simple choix de ce qui fait l’objet d’une information étant déjà chargé en signification.

Dans le cas des réseaux sociaux et surtout de Twitter on pourrait considérer que les supports/réseaux constituent eux-mêmes la forme. L’obligation de tenir en 140 signes pour Twitter ou les limitations de taille de fichier pour le partage d’information multimédia sur les réseaux sont autant de cadres qui contraignent le sens et le limitent ; la forme préexiste, elle est première.

Dès lors on pourrait postuler que les réseaux sociaux dans ce contexte journalistique ne peuvent être que les supports d’informations brutes et en tant que telles vides de sens, puisqu’elles restent encore à interpréter. Ainsi, paradoxalement, les journalistes qui « twittaient » en live depuis un tribunal de Manhattan n’avaient pour seul intérêt que d’être là, c’est-à-dire d’êtres parés de l’attribut « journaliste » qui leur permettait sans doute d’avoir accès à la salle d’audience mais rien d’autre. Car par ailleurs n’importe quelle personne présente dans cette salle et disposant d’un téléphone mobile auraient pu rédiger les mêmes messages : « DSK mal rasé et l’air fatigué », « Echange de sourire avec A Sinclair », « Le juge se retire pour délibérer, suspension de 5 mn »… Ici le travail journalistique ne donne aucun sens, il est simple témoignage, et le réseau social est avant tout une plateforme technique permettant instantanéité et partage à grande échelle.

Mais ce qui devient alors intéressant c’est la réutilisation de ce matériau brut dans une logique qui constitue l’essence même de ce qu’a permis Internet : le lien et le rebond. On oublie en effet souvent à quel point la notion d’hyperlien structure de façon intime notre rapport et notre utilisation d’Internet comme l’avait pressenti un de ses inventeurs Tim Berners Lee. Internet sans lien serait comme un immense terrain de jeu mais limité, alors que le lien lui confère la dimension et la beauté de « la Bibliothèque de Babel » borgésienne.

Le réseau social, le simple tweet ou le mur, sont alors les vecteurs et les propagateurs d’une information sans forme que des médiateurs devront remplir d’un sens. Il faut s’emparer de ces signes pour les extraire, les manipuler et leur donner un sens plein. Ce rôle de rebondeur, comme la figure du joueur de basket qui s’empare d’une balle qui sinon n’irait pas dans le panier, doit évidemment être celui des journalistes dans notre univers numérique. Trier dans la profusion, saisir les données brutes et les articuler, donner des pistes, aiguiller vers des prolongations, saisir la complexité et l’expliciter, voilà le rôle du journaliste à l’ère Twitter. Le journaliste qui se contenterait d’être le simple rédacteur de messages courts ou celui qui contribue avec quelques photos sur son mur perdrait alors tout intérêt puisque cela justement tout le monde peut le faire.

Au-delà des journalistes les médias d’information gagnants seraient alors ceux qui réussiraient à créer une circularité entre tous les supports d’informations : papier, images, réseaux…en organisant sans cesse les rebonds de l’un à l’autre et en  gardant toujours à l’esprit l’impératif du sens/de la forme à donner. Un tweet devient alors le support d’un débat télévisé, qui lui-même renvoie à un article, qui lui-même renvoie à un film…Le consommateur d’information ayant, quant à lui, en fonction de son temps et des contextes d’utilisation, le choix entre tous ces supports dans un continuum où la pertinence, « l’in-formation » – et donc la crédibilité et la valeur ajoutée de ceux qui organisent la médiation, est fondamentale. Un petit message de 140 signes pourrait alors déclencher une source infinie de rebonds.

Image par : http://semiologie-television.com/?p=2686)

chemassayag

A propos de l’auteur :
Chem Assayag est Directeur Général Adjoint de la société New Media PLus, éditrice du site de vidéos pratiques vodemotion.com. Il travaille depuis une vingtaine d’années dans le secteur des nouveaux médias et des nouvelles technologies. Il s’exprime ici à titre personnel.

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